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Comment faire vraiment revenir la croissance

La productivité du travail ne cesse de ralentir. Les technologies de l'information devraient pourtant finir par l'accélérer. A condition de tout changer : l'entreprise, l'Etat, les relations sociales.

Fabien Clairefond pour « Les Echos »
Fabien Clairefond pour « Les Echos »

Par Jean-Marc Vittori

Publié le 16 oct. 2018 à 15:23Mis à jour le 17 oct. 2018 à 07:01

Sommes-nous condamnés à une croissance désespérément lente ? Dix ans après la grande crise financière de 2007-2008, la question est lancinante. Après s'être un peu estompée l'an dernier, quand tous les pays ou presque avaient repris la voie du progrès, elle revient en force avec une activité décevante. Alors que la liste des inquiétudes ne cesse de s'allonger - Brexit, budget italien, durcissement monétaire aux Etats-Unis, protectionnisme trumpien, glissade turque et argentine, morcellement politique allemand, dérive saoudienne, radicalisation brésilienne, stop and go chinois…

Rupture dans tous les pays avancés

Au-delà des doutes politiques, au-delà aussi des inégalités croissantes qui pèsent sur la demande, il faut s'interroger encore et toujours sur le moteur le plus puissant de la croissance : l'efficacité de la production. Ici, le constat est clair. Au cours des deux décennies qui ont précédé la crise financière, la productivité du travail progressait de 1,3 % par an en France. Depuis 2010, elle ne gagne plus que 0,9 % par an. Une analyse plus fine montre que la rupture se produit en réalité vers 2003-2004. On trouve la trace de semblable cassure à une date voisine dans tous les pays avancés.

Les économistes ont bien sûr âprement débattu des origines de cette rupture. Trois chercheurs de la Banque de France, Gilbert Cette, Rémy Lecat et le jeune et brillant Antonin Bergeaud, donnent un signe d'espoir dans ces controverses souvent peu joyeuses : ils ont en effet choisi de titrer leur livre qui vient de paraître « Le Bel Avenir de la croissance » (1). Ce faisant, ils prennent une place restée vacante dans le débat.

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Smartphone vs tuyau d'eau

L'un des grands spécialistes mondiaux de la productivité, Robert Gordon, de l'université américaine de Northwestern, avait lancé le bal il y a cinq ans avec un argument microéconomique pessimiste : nous aurions épuisé le progrès technique. Le plus beau smartphone ne changera jamais autant nos vies que le tuyau qui apporte l'eau dans nos maisons. Deux économistes du MIT de Boston, Erik Brynjolfson et Andrew McAfee, ont répondu début 2014 avec un argument lui aussi microéconomique mais optimiste : les innovations des technologies de l'information vont déclencher une formidable vague de productivité. Une perspective qui trouve un écho dans le débat public, avec les espoirs suscités par l'intelligence artificielle - et l'anxiété sur l'avenir de l'emploi.

Le débat est aussi macroéconomique, avec un argument pessimiste avancé en 2013 par le professeur Larry Summers, ancien secrétaire au Trésor de Bill Clinton. Pour cet ex-président de Harvard (la grande université concurrente du MIT à Boston), nous serions dans une « stagnation séculaire». Le vieillissement de la population dans les pays avancés fait gonfler l'épargne. L'investissement n'est pas suffisant pour l'absorber. Le taux d'intérêt qui assure l'équilibre entre l'un et l'autre devrait donc être négatif. Comme c'est difficile à accepter par les épargnants, les firmes n'investissent pas assez.

Les trois économistes de la Banque de France, eux, avancent (avec maintes précautions) un argument macroéconomique optimiste. La nouvelle vague numérique pourrait créer des bénéfices aussi puissants que ceux de l'électricité au XXe siècle. Des bénéfices qui ne sont pas encore venus, car «historiquement, les technologies ont en effet mis plusieurs décennies à se diffuser et à être utilisées de manière pleinement efficaces».

Croissance deux fois plus forte

Bergeaud, Cette et Lecat vont jusqu'à calculer des chiffres. En cas de stagnation séculaire, la croissance dans le demi-siècle à venir serait limitée à 1,5 % par an, en France comme aux Etats-Unis (un chiffre que l'on pourrait facilement juger élevé). En cas de révolution technologique effective, elle pourrait être deux fois plus forte, de l'ordre de 3 % l'an !

Mais l'essentiel est ailleurs que dans les chiffres. Les trois chercheurs insistent sur la nécessité de changements majeurs pour capter ces bénéfices. Difficile de s'épanouir dans la révolution numérique avec un Etat et un contrat social forgés à l'époque de l'industrie lourde. «L'utilisation performante des technologies les plus avancées nécessite certaines formes de flexibilité organisationnelle qui peuvent être contrariées par des régulations trop lourdes sur le marché du travail », affirment les auteurs avec une prudence de Sioux.

Nouvelles institutions

Pour profiter pleinement d'une révolution industrielle, il faut adapter pleinement les organisations. Au XXe siècle, les industriels avaient bâti de nouvelles usines pour tirer parti de l'électricité. Les destructions de la Seconde Guerre mondiale ont accéléré le mouvement en Europe. Etats et peuples ont aussi bâti de nouvelles institutions, comme la protection sociale.

Au XXIe siècle, il faudra aller beaucoup plus loin en réinventant la production, l'entreprise, la protection sociale, l'action publique, l'éducation. La révolution de l'information est plus profonde que celle de l'électricité. Ce n'est pas seulement un choc externe, cantonné au domaine physique. Elle touche nos ressorts internes, nos façons non seulement d'agir mais aussi de penser. Elle devra de plus inéluctablement accompagner une révolution écologique. Les peuples incapables de s'adapter sont des peuples condamnés à disparaître de l'histoire.

(1) « Le Bel Avenir de la croissance. Leçons du XXe siècle pour le futur », par Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Rémy Lecat, Odile Jacob, 200 pages, 21,90 euros.

Jean-Marc Vittori 

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